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Rescapée de la civilisation

Rescapée de la civilisation

À la frontière de l’Outaouais et de l’Abitibi-Témiscamingue, la rivière Dumoine constitue l’un des derniers grands cours d’eau du Québec méridional encore à l’état sauvage. Et il en sera ainsi pour toujours. Récit d’une expédition sur une rare réchappée.

J’en ai presque mal aux oreilles. Pas parce que j’ai une otite ou un tympan perforé, Dieu m’en préserve. Non, c’est le bruit constant des eaux tumultueuses de la rivière Dumoine qui résonne dans mon canal auditif. Sur ce cours d’eau mythique dans la communauté de canots-campeurs, les rapides se succèdent de manière pratiquement ininterrompue. D’un coup de pagaie à l’autre, leur musique prend possession de mon esprit, tel le murmure des vagues au bord de la mer.

Durant mes cinq jours à canoter sur la rivière Dumoine, j’ai été submergé par son caractère complètement sauvage. Outre le fracas de ses flots impétueux, j’ai été conquis par l’absence totale, sur son corridor, de pollution sonore. Bye bye, bruit de moteurs. Aucun camion, véhicule tout-terrain, scie à chaîne ou bateau à moteur dans les parages. Pas non plus de bips de notification : la rivière ayant été oubliée des ondes cellulaires, nos téléphones se sont tus. À bord de mon canot Esquif, j’ai réalisé que j’entendais probablement le même brouhaha de la nature que nos ancêtres, Amérindiens et coureurs des bois. Seule la rumeur des voix de mes compagnons de voyage s’élevait de temps à autre dans le parfait paysage sonore de la Dumoine.

Coulant plein sud aux confins du Far West québécois, la rivière Dumoine, longue de 140 km, se perd dans les forêts du Témiscamingue et du Pontiac. Peut-être parce qu’aucune route asphaltée ne la dessert, il n’y a que les canoteurs qui arrivent à la situer sur une carte. Même les castors à l’œuvre chez Hydro-Québec auraient fait l’impasse sur elle. Pourtant, la Dumoine aurait eu le potentiel d’abriter quatre centrales hydro-électriques, dixit une vieille étude retrouvée dans les méandres de l’internet.

 

Au cours de l’histoire, après le poste de traite datant du commerce des fourrures, il n’y a que les forestiers qui semblent l’avoir repérée et exploitée à partir du XIXe siècle. La drave y a connu son heure de gloire dans la première moitié du XXe siècle, mais les traces des draveurs ont totalement disparu. Les forêts qui ont été abattues aux alentours ont retrouvé depuis longtemps du tonus. Il reste encore des secteurs de pins blancs et de pins rouges qui n’ont jamais été exploités, me confirme John McDonnell, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Canada – section Vallée de l’Outaouais, un passionné des lieux. Sur les berges, la villégiature n’a jamais pris racine, ou si peu. Les chalets se font rares et se concentrent dans des endroits très précis. Les seuls aménagements anthropiques qui parsèment le parcours sont les sites de camping, parfaitement intégrés au paysage.

C’est en pagayant sur ses eaux qu’on s’aperçoit qu’on a affaire à un petit miracle – un miracle que l’on doit aux groupes écologistes qui ont fait pression, depuis des décennies, pour que la Dumoine conserve son intégrité écologique. Leur combat a été récompensé à l’été 2022 lorsque Québec a annoncé l’agrandissement de la réserve de biodiversité projetée de la Rivière-Dumoine. Cette réserve s’étend maintenant sur 1759 km2, devenant l’une des plus vastes aires protégées dans le sud du Québec. La Dumoine sert de corridor écologique entre le parc provincial Algonquin, situé en Ontario, à seulement 18 km de son embouchure, et les grandes forêts de l’Abitibi-Témiscamingue.

À l’assaut des rapides

La meilleure méthode pour explorer la rivière Dumoine s’avère l’expédition de canot-camping. Plusieurs entrées ouvrent les portes de cette voie d’eau : la réserve faunique La Vérendrye ; le village québécois de Rapides-des-Joachims, sis sur les rives de la rivière des Outaouais ; et la région du Témiscamingue, option que j’ai testée avec la gang de Tourisme Abitibi-Témiscamingue, qui m’a invité à me joindre à elle.

À partir de la municipalité de Témiscaming, un chemin forestier majoritairement rectiligne nous mène, 115 km plus loin, au km 64 km de la Dumoine, sautant la partie plus septentrionale de la rivière aux eaux généralement plus calmes et comptant plusieurs élargissements formant des lacs étroits, section moins stimulante pour les amateurs d’eaux vives que nous sommes.

Notre groupe s’apprête à partir en mission : découvrir et mettre en valeur la partie est du Témiscamingue, lieu de multiples parcours de canot-camping, en faisant de la photo, de la vidéo et des relevés GPS. Bref, nous ne sommes pas en vacances, mais au travail. « La rivière Dumoine peut constituer le point d’orgue d’une plus longue expédition en canot dans le Témiscamingue, en partant des lacs Témiscamingue et Kipawa et en pagayant sur plusieurs étendues d’eau jusqu’à la Dumoine », m’explique France Lemire, conceptrice du site accespleinair.org, qui réunit toute l’information nécessaire à la pratique du plein air en Abitibi-Témiscamingue. Cette spécialiste du plein air fait évidemment partie de l’aventure.

Dompter les rapides

Notre expédition commence en amont des rapides du Pont, de classe II, c’est-à-dire de niveau intermédiaire. Avant de nous précipiter dans les flots, nous faisons cependant une sortie en eau calme afin de dérouiller nos muscles et de procéder à une petite révision des divers coups de pagaie. Notre guide n’est nul autre que Guillaume Rivest, propriétaire d’Exode, aussi collaborateur à Géo Plein Air. Cet aventurier canote cette rivière légendaire depuis des années, à raison de plusieurs fois par été. Nous sommes en bonnes mains si jamais survenait un pépin. Bien qu’elle ne soit pas dangereuse, la rivière Dumoine représente quand même un défi.

Après notre première nuitée et le déjeuner, nous nous élançons dans les rapides du Pont, qui s’étirent sur au moins 200 m en une succession de gros rouleaux. À la barre de mon canot se trouve Danny Laperrière, directeur de la Coop de l’arrière-pays et expert canoteur. Je me sens en sécurité. Malgré toute notre bonne volonté, le premier rapide gagne la bataille. L’eau pénètre par-dessus bord et nous prenons un bon bain, sans toutefois chavirer. Après le stress initial, nous en redemandons. Le canoteur de rapides est un junky des rapides, il en veut toujours plus. Nous sommes au bon endroit pour recevoir nos doses.

Dans les jours qui suivent, des rapides, en veux-tu en v’là. Nous n’avons pas le temps de sécher que de nouveaux obstacles se dressent devant nous. Chaque rapide a son nom, qui n’a pas été choisi au hasard. Par exemple, pour le rapide Crampe en masse, il faut braquer le canot à son maximum pour emprunter une voie sécuritaire ; le rapide Snake serpente dans la rivière. Vous comprenez le principe.

Cette rivière sportive accueille sur ses berges des sites de camping sauvage parmi plus beaux du monde. Sous la protection de pins matures dans la plupart des cas, nous plantons les tentes sur des tapis d’aiguilles, au pied de rapides. Les soirées passent rapidement à pêcher des achigans à petite bouche, à nous baigner en eau pure et à conter des histoires autour d’un feu de camp. L’aménagement des campings est l’œuvre bénévole des Amis de la rivière Dumoine. On les remercie au passage.

Quelques seuils et chutes nous obligent à faire de courts portages – rarement plus de 500 m, à l’exception du portage de la Grande Chute, où la Dumoine effectue un saut d’une quarantaine de mètres puis s’enfonce dans un canyon. Nous contournons ce site exceptionnel par un sentier de portage de près de 1300 m qui serait fréquenté depuis 5000 ans. Nous marchons sur les traces de l’histoire, c’est le cas de le dire.

Fortement enclavée sur une partie de son parcours, la rivière Dumoine révèle des parois rocheuses spectaculaires, dont l’imposante falaise Bald Eagle, de 110 m de hauteur, qui plonge directement dans la rivière. Un sentier, plus fréquenté par les insectes piqueurs que par les randonneurs, mène au haut de la falaise. Par manque de temps, nous ne ferons pas la randonnée, et je le regrette encore.

À notre arrivée à l’embouchure de la rivière Dumoine, qui se jette dans la rivière des Outaouais, nous pagayons jusqu’à Stonecliffe, du côté ontarien, d’où les camionnettes nous ramèneront à notre point de départ. J’ai tout de suite eu une pensée pour les défenseurs de la rivière Dumoine – Amis de la rivière Dumoine et écologistes –, à qui je lève ma pagaie. Sans eux, que serait devenue la rivière Dumoine ?

Encadré

La Dumoine, accessible aussi à pied

Le canot-camping n’est plus l’unique façon d’explorer cette rivière. Aménagé dans les dernières années, le chemin de portage de la rivière Dumoine épouse sur 28,5 km la rive ouest du cours d’eau, de la Grande Chute jusqu’à la rivière des Outaouais. Cette piste rustique, qui emprunte un ancien chemin de traite, conduit à la découverte de nombreux vestiges. Tout le travail de repérage et de défrichage a été accompli par les bénévoles des Amis de la rivière Dumoine, avec le soutien financier de la zec Dumoine et de plusieurs bailleurs de fonds, dont la Fondation de la faune du Québec. Enregistrement obligatoire à la zec Dumoine, à Rapides-des-Joachims.

sentierdumoine.ca

QUAND Y ALLER

La rivière Dumoine est habituellement pagayable tout l’été, peu importe les niveaux d’eau.

CAMPING

Tout au long de son parcours, les canoteurs trouvent de nombreux sites de camping spacieux, propres et équipés de Thunderbox, la version compacte de la bécosse.

ACCESSIBILITÉ

Il est possible de se rendre directement la rivière Dumoine à partir du Témiscamingue grâce à un service de navette offert par la Coop de l’arrière-pays, qui fait également de la location de canots et de tout le nécessaire pour une expédition. La coop propose aussi un service unique d’ange gardien qui peuvent intervenir en cas de besoin.

EXPÉDITIONS TOUT INCLUS

Exode bâtisseur d’aventures organise des expéditions guidées tout inclus sur la rivière Dumoine et les autres cours d’eau du Témiscamingue.

INFORMATION

Le site accespleinair.org contient tous les renseignements utiles à la préparation d’une aventure sur la Dumoine (carte, tracé par points en format GPX, plan de mesure d’urgence, etc.).

 

En bref

Une expédition de cinq jours aux confins du Témiscamingue et du Pontiac, sur la rivière Dumoine, l’une des plus belles rivières canotables du Québec.

ATTRAIT MAJEUR

Une rivière sportive comportant une succession de rapides accessibles aux canoteurs intermédiaires.

COUP DE CŒUR

Un territoire peu touché par le progrès.

accespleinair.org

sentierdumoine.ca

Notre journaliste a été invité par Tourisme Abitibi-Témiscamingue.